Le crayon est devenu un symbole. Que ce soit par le dessin ou les écrits, un symbole de liberté, de créativité, d'innovation... parfois d'audace. Un symbole pour faire bouger... Et faire bouger, n'est-ce pas au fond la vocation du Groupe Associatif Siel Bleu ? Faire bouger pour le Bien Commun.

lundi 25 février 2019

Bienvenue en séance !




©NotreTemps


« Qui veut faire de la gym ? » lance Gkolfo à la cantonnade. « C’est le cours de gym qui va commencer ! » Elle ouvre doucement les portes des chambres alentour : « Vous voulez faire de la gym ? » « Oui mais je ne suis pas prête ! » lui répond la dame en se redressant sur son lit « Prenez tout votre temps, on a tout le temps » lui répond Gkolfo de son accent chantant.

Les portes s’ouvrent, les couloirs se remplissent, on installe les chaises en cercle : il n’y a presque plus de place ! Chacun s’avance à son rythme, en déambulateur, béquilles, ou chaise roulante, et prend place avec l’aide de quelques jeunes filles du centre. « Mais je ne gêne pas ici ? Vous êtes sûre que je ne gêne pas ? » s’inquiète une vieille dame aux cheveux teints installée sur sa chaise. « Non vous êtes très bien ! » « Ah bon, c’est bien alors. »

 « Vous savez, il ne faut pas se faire d’illusion, parce que là-bas, au coin, il y a un trou ! » C’est la dame aux lunettes, assise sur son fauteuil roulant, qui réfléchit tout haut. Et Gkolfo lui répond, d’un air assuré : « oui mais vous savez avec la gym ça va passer, tout va passer. Est-ce que tout le monde est prêt ? » Gkolfo a beaucoup de cours avec des personnes atteintes d’Alzheimer et sait très bien s’y prendre.

Le silence se fait, on peut commencer. On inspire, on souffle, on inspire…Puis la tête en haut, en bas…Et on n’oublie pas de respirer ! « Ah oui parce que sinon c’est grave hein ». On réveille tout le corps en douceur : les épaules, les bras, puis les coudes, avec un mouvement un peu plus complexe que les autres. Certains le font à merveille, même Albert, hémiplégique se débrouille comme un chef ! D’autres s’emmêlent les bras, mais ce n’est pas grave, on continue ! 

« Tout le monde connaît la boxe ? » Et voilà nos octogénaires en position de combat, le poing gauche sur la poitrine, et le poing droit tendu au centre du cercle. « Sans attaquer les voisins ! Et une, et deux, et trois… » « et dix ! » s’exclame la dame en fauteuil, qui peine à faire les mouvements mais s’efforce de son mieux à suivre le rythme. Les sourires commencent à se dessiner sur les visages.
Ces personnes-là n’ont probablement jamais fait d’activité physique de leur vie. Ils n’en auraient peut-être jamais eu l’idée : pour eux, le sport c’est à la télévision ! Mais il n’est jamais trop tard pour s’y mettre, même en chaise roulante !

« Est-ce que vous savez nager ? » interroge Gkolfo. Pas de réponse, mais tout le monde se met à faire du crawl, chacun à sa manière. Et une, et deux, et trois… « et dix ! Je suis allée jusqu’à dix quand même ! » s’exclame à nouveau la dame. « Alors maintenant qu’on a bien nagé, on va utiliser un peu plus notre imagination : on est devant une belle et haute falaise, et il va falloir escalader… Qu’est-ce qu’il faut faire pour escalader ?  Il faut grimper ! Alors on grimpe ! Allez, une jambe et une main ensemble, puis l’autre côté. Et une, et deux…Courage, on y est presque ! »

« Oh le courage, ce n’est pas ce qui manque mais là, je suis fatiguée moi… » soupire la dame aux cheveux teints. Pour redonner de l’élan à son public, notre animatrice hors pair emploie les grands moyens et tire sa casquette de coach sportif : « Vous savez, on se prépare pour les jeux olympiques de 2020, alors il faut un peu s’entraîner ! » La remarque fait son effet, les rires raisonnent !

Un tel entraînement donne un peu chaud, forcément. Hop, un petit tour dans l’eau et quelques brasses pour se rafraîchir. « Est-ce que vous êtes fatigués ? Non ? Mais vous êtes beaucoup trop forts ! Je ne vais pas réussir à vous épuiser… Alors je vais vous faire danser ! » Talon, pointe, talon, pointe, comme les petits rats de l’opéra. Pour danser il faut des jambes musclées : on lève les jambes et on tend.  « Et une, et deux, et trois… » « Et dix ! » Répète la dame aux lunettes, d’un ton affirmé. Ça y est, ce dernier exercice les a achevés pour de bon. 

« Mais qu’est-ce qu’il faut faire maintenant ? » déclare celle qui était si inquiète au début du cours. « La séance est finie ! » « C’est terminé ? Mais…mais moi quand on s’arrête, je ne sais plus quoi faire ! Qu’est ce qui faut que je fasse ? » « Vous avez tout fait très bien madame, c’était super ! » Son visage se détend et affiche un large sourire : « Ah ! Alors si c’était très bien, qu’est-ce que je suis contente ! »

Activité handicap et sourires





©Karel de Gendre
 


Dans la salle du premier, c’est l’effervescence, tout le monde se prépare pour la prochaine activité : certains vont au "sport", d’autres ont leur séance de kiné ou d’orthophonie… « Kateline ! Kateline ! Quand est-ce qu’on y va ? » lance Gérard, gigotant dans tous les sens sur son siège. Le jeune garçon commence à s’impatienter : il prend sa chaise et la frappe sur le sol pour faire le plus de bruit possible. Il est temps de commencer la séance. Sékou s’approche de nous en poussant les roues de son fauteuil. Il ne parle pas mais son sourire en dit long : il est prêt ! 

Le signal est donné : « Gérard, prend ton fauteuil, on descend ! » annonce l’éducatrice. « Non pardon, ton déambulateur ! » se reprend-t-elle. « Non, non, je vais prendre mon fauteuil » lance Gérard, provocateur. « Gérard…tu sais bien que parfois je perds la tête. » « Ah d’accord, tu perds la tête… » rigole-t-il, attrapant son déambulateur au passage. Celui-là a l’air d’être un sacré numéro. Aujourd’hui, on emmène avec nous Gérard, Khadidji, Sékou, et Zoheb. Cheyenne, une jeune fille polyhandicapée, nous rejoint en bas, dans la salle du rez-de-chaussée. 

Kateline gonfle le ballon pour faire ses passes. La séance n’a pas commencé que Gérard se met à crier. En face de lui, Sékou fait des bisous de loin à Khadidji, qui n’a pas du tout l’air gêné. C’est que notre petite princesse au doux sourire n’a pas qu’un seul prétendant dans l’établissement. Gérard ferait-il une crise de jalousie ? « Elle est à moi ! » lance-t-il. Cela en a tout l’air… « Sekou ! », celui-ci rattrape de justesse la balle qui a atterri sur ses genoux, la lève et, la tête tournée vers l’éducatrice assise à côté de lui, et il la renvoie en face, sans prévenir. Elle fait une belle trajectoire arrondie et rebondit au bout de la pièce. C’est sa manière bien à lui de jouer au ballon. Il agite les bras, jette la tête en arrière et pousse des petits cris de contentement : il est ravi, et très fier de lui. Notre joyeuse bande se prend au jeu : Khadidji sourit et lance la balle à son voisin Zoheb, qui la frappe sur le sol : quel beau rebond ! Allez Cheyenne, c’est ton tour. Kateline lui met la balle entre les mains. Elle parvient à la tenir entre ses deux mains recourbées, et la pousse de toutes ses forces en avant. La balle roule et percute le pied de la chaise de Zoheb. Belle passe !

On accélère la cadence. Et on ajoute une balle, pour compliquer l’affaire…et tester les réflexes. Les balles volent un peu partout, et les rires commencent à se faire entendre. Gérard, très en forme, attrape et la lance du tac au tac, de toutes ses forces. Le jeune garçon a bien besoin de se défouler. Mais la porte s’entrouvre : quelqu’un vient le chercher. La séance est déjà terminée pour lui, mais il ne manquera pas la prochaine !

Kateline prépare le prochain exercice : il faut lancer des cerceaux autour de plots placés sur le sol. Trop difficile pour Cheyenne qui ne peut les lancer. Kateline ne manque pas d’idées pour adapter ses exercices pour que tout le monde puisse participer, même les moins mobiles. Notre inventive CP place une table devant son fauteuil, juste à sa hauteur. La jeune fille saisit le cerceau, lève le bras, et parvient à le déposer autour du plot, presque sans aide. « Bravo ! Tu vois tu te débrouilles très bien Cheyenne ! » l’encourage Kateline. Les yeux pétillants, Cheyenne affiche un grand sourire un peu de travers et répond par un « ouais » franc et massif. Tandis que Sékou lance ses cerceaux à la volée, manquant à chaque coup d’éborgner l’éducatrice qui les ramasse, Kadidji et Zoheb se concentrent pour viser les plots les plus éloignés. Maintenant que nos jeunes amis sont experts en lancer de « frisbee », comme les appelle Zoheb, on peut passer au niveau supérieur : les plots sont remplacés par des grandes quilles destinés au chamboule-tout. Cela va demander plus d’effort ! Mais c’est encore plus amusant : Cheyenne pousse les quilles placées devant elle par terre, à côté de Sékou trop heureux de lui donner un coup de main. 

« On revient au calme maintenant » murmure Kateline en donnant à chacun une petite balle de massage.  « Faites la rouler sur votre poignet, votre bras, comme cela regardez. » Sur une douce musique, chacun se met à s’auto-masser. Mais c’est encore mieux quand on le fait pour nous ! Cheyenne, aux anges, profite du massage personnalisé de Kateline. Khadidji, elle, ferme les yeux, les traits détendus et le sourire aux lèvres… « Et toi Zoheb, tu aimes bien ? Ça chatouille un peu ? » Il rigole en hochant la tête. Quand à Sékou, il gigote de partout pour attraper la balle. Impossible de le masser ! Mais lui, pas du tout frustré, prend son air charmeur et envoie des bisous à Kateline. Aucun de ces enfants ne peut parler, quelques mots tout au plus. Mais pour s’exprimer, pas besoin de mots ! Il suffit de lire sur leurs visages, et de voir leur sourire…