Porte-Crayons

Le crayon est devenu un symbole. Que ce soit par le dessin ou les écrits, un symbole de liberté, de créativité, d'innovation... parfois d'audace. Un symbole pour faire bouger... Et faire bouger, n'est-ce pas au fond la vocation du Groupe Associatif Siel Bleu ? Faire bouger pour le Bien Commun.

vendredi 17 mai 2019

Valentin, cuisinier au grand coeur de la Maison de la Vie



Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Valentin Luiggi et je suis cuisinier restaurateur nomade.
Je travaille dans les métiers de la restauration depuis 13 ans en étant issu de la formation professionnelle. J’ai été dans le service, la cuisine, la boulangerie…
Depuis 7 ans je suis autodidacte sur beaucoup de sujet : la cuisine bien-être liée à l’alimentation, la cuisine adaptée (qui est un thème qui revient très régulièrement dans mes aspirations et notamment lors de séjours Maison de la Vie), les allergènes, les régimes alimentaires particuliers.
Il y a de cela 3 ans, j’ai fondé les Savoureux Compagnons qui est un collectif d’acteurs de l’alimentation. Nous sommes une équipe de passionnés, convaincus que l'alimentation est au cœur de la transition écologique, éthique et sociétale. Nous avons pour but de collaborer, mutualiser les intelligences, les compétences, matériels et idées. Nous nous soutenons dans le plaisir et la bienveillance. Nos actions ? Création de restaurants éphémères, école de cuisine, cours de cuisine partagée et bien d’autres choses encore dans le but de « Nourrir et se nourrir » !

Quelle est ta philosophie, tes aspirations ?

Selon moi, il y a une interdépendance entre ce que l’on mange et la nature, l’environnement qui nous entourent (les plantes, les animaux, les micro-organismes présents dans notre estomac…). Ma cuisine se veut donc éthique : de saison, locale et biologique au maximum et avec le moins d’impact environnemental mais sans prosélytisme. Toujours proposer, jamais forcer !
Je souhaite ouvrir les portes : manger concerne tout le monde. C’est un véritable marqueur de l’histoire humaine (route des épices, sédentarisation de l’Homme pour pouvoir cultiver la terre...). C’est un sujet si passionnant !

Comment as-tu connu La Maison de la Vie ? 

Grâce à Sébastien qui cherchait un cuisinier pour un séjour, lors d’une Disco Soupe (événement participatif qui permet de sensibiliser contre le gaspillage alimentaire).
J’ai tout de suite accroché avec le concept de la Maison de la Vie. Pour moi c’est une manière d’être au plus cohérent et au plus précis dans ce que l’on est capable de faire dans le métier de la cuisine. Ça me semble plus logique, la puissance du projet est incroyable. On vit des choses fortes pendant le séjour. J’ai d’ailleurs fêté mes 3 derniers anniversaires à la Maison de la Vie !
Aujourd’hui, je repère aussi les autres cuisiniers des Savoureux Compagnons en fonction de leur compétence pour les faire participer aux Séjours.

Quel est ton rôle pendant les séjours et comment t’organises-tu ?

Je suis le cuisinier référent du séjour. Conseil, accompagnement, création en intégralité des repas, du petit déjeuner au dîner. J’adapte tous les repas aux participant(e)s en fonction de leurs spécificités alimentaires, allergies, plats préférés, ce qu’ils/elles aiment manger au petit déjeuner etc. Les personnes sont aussi invitées à participer à la préparation des repas si elles en ont l’envie et le temps.
Je travaille beaucoup au jour le jour, en fonction du moment présent, des envies des participants, de la saison, des restes ou des discussions. Si par exemple on discute d’un plat à table qu’un(e) participant(e) aime ou n’a pas mangé depuis longtemps, vous êtes sûrs de le retrouver au menu le lendemain ! J’écoute beaucoup et je suis très attentif. Je mets l’accent sur la vitamine, les probiotiques naturels.
J’anime aussi un atelier de cuisine pendant la semaine. Je fais les courses localement, au maximum dans des magasins bio ou auprès de producteurs locaux. 

Être cuisinier à la Maison de la Vie, qu’est-ce que cela t’apporte ?

A chaque fois, c’est un nouveau voyage car ce sont des histoires et personnes différentes. C’est touchant. Je fais forcément le lien avec ma mère ou ma grand-mère quand ce sont des participantes du même âge qu’elles par exemple. Et à l’inverse, je suis donc chouchouté comme si j’étais leur fils ou petits-fils ! (Rires)
Faire les séjours Maison de la Vie m’amène à sortir de mon cadre et me permet de bouger.  
J’ai besoin de ça dans mon quotidien. Dès qu’il y a un nouveau lieu, j’aime y aller car cela me fait sortir de ma zone de confort, me fait travailler avec de nouvelles personnes. J’ai besoin de diversité et là je suis servi ! Ça me permet aussi de rencontrer les producteurs, voir comment le gens bossent. Ça apporte de la cohérence à mon métier et à ce que je suis.
Aujourd’hui avec le temps, j’arrive à mieux gérer les émotions vives et fortes qu’offre un séjour Maison de la Vie. Mais je vis toujours avec et ça me permet de développer mon empathie. On partage vraiment, pendant 5 jours, le quotidien d’hommes et de femmes touchés par un cancer. Ce n’est pas rien.
Comme dit, j’ai aussi l’occasion de manger tous les repas avec les participant(e)s et j’aime ça. C’est le plus beau cadeau que l’on puisse faire à un cuisiner car vous avez les retours des personnes en direct, je peux leur expliquer mon plat, ma démarche.  La Maison de la Vie c’est une richesse qui se renouvelle constamment.
Faire partie du projet et de l’équipe m’ont inspiré à faire de la cuisine adaptée, d’avoir confiance en ce qu’on fait et aujourd’hui je milite pour ça.

Est-ce que tu voudrais rajouter quelque chose ?

Oui.
« La nourriture est fondatrice de coopération et de créativité » et « L’oignon fait la force » (Rires)

lundi 25 février 2019

Bienvenue en séance !




©NotreTemps


« Qui veut faire de la gym ? » lance Gkolfo à la cantonnade. « C’est le cours de gym qui va commencer ! » Elle ouvre doucement les portes des chambres alentour : « Vous voulez faire de la gym ? » « Oui mais je ne suis pas prête ! » lui répond la dame en se redressant sur son lit « Prenez tout votre temps, on a tout le temps » lui répond Gkolfo de son accent chantant.

Les portes s’ouvrent, les couloirs se remplissent, on installe les chaises en cercle : il n’y a presque plus de place ! Chacun s’avance à son rythme, en déambulateur, béquilles, ou chaise roulante, et prend place avec l’aide de quelques jeunes filles du centre. « Mais je ne gêne pas ici ? Vous êtes sûre que je ne gêne pas ? » s’inquiète une vieille dame aux cheveux teints installée sur sa chaise. « Non vous êtes très bien ! » « Ah bon, c’est bien alors. »

 « Vous savez, il ne faut pas se faire d’illusion, parce que là-bas, au coin, il y a un trou ! » C’est la dame aux lunettes, assise sur son fauteuil roulant, qui réfléchit tout haut. Et Gkolfo lui répond, d’un air assuré : « oui mais vous savez avec la gym ça va passer, tout va passer. Est-ce que tout le monde est prêt ? » Gkolfo a beaucoup de cours avec des personnes atteintes d’Alzheimer et sait très bien s’y prendre.

Le silence se fait, on peut commencer. On inspire, on souffle, on inspire…Puis la tête en haut, en bas…Et on n’oublie pas de respirer ! « Ah oui parce que sinon c’est grave hein ». On réveille tout le corps en douceur : les épaules, les bras, puis les coudes, avec un mouvement un peu plus complexe que les autres. Certains le font à merveille, même Albert, hémiplégique se débrouille comme un chef ! D’autres s’emmêlent les bras, mais ce n’est pas grave, on continue ! 

« Tout le monde connaît la boxe ? » Et voilà nos octogénaires en position de combat, le poing gauche sur la poitrine, et le poing droit tendu au centre du cercle. « Sans attaquer les voisins ! Et une, et deux, et trois… » « et dix ! » s’exclame la dame en fauteuil, qui peine à faire les mouvements mais s’efforce de son mieux à suivre le rythme. Les sourires commencent à se dessiner sur les visages.
Ces personnes-là n’ont probablement jamais fait d’activité physique de leur vie. Ils n’en auraient peut-être jamais eu l’idée : pour eux, le sport c’est à la télévision ! Mais il n’est jamais trop tard pour s’y mettre, même en chaise roulante !

« Est-ce que vous savez nager ? » interroge Gkolfo. Pas de réponse, mais tout le monde se met à faire du crawl, chacun à sa manière. Et une, et deux, et trois… « et dix ! Je suis allée jusqu’à dix quand même ! » s’exclame à nouveau la dame. « Alors maintenant qu’on a bien nagé, on va utiliser un peu plus notre imagination : on est devant une belle et haute falaise, et il va falloir escalader… Qu’est-ce qu’il faut faire pour escalader ?  Il faut grimper ! Alors on grimpe ! Allez, une jambe et une main ensemble, puis l’autre côté. Et une, et deux…Courage, on y est presque ! »

« Oh le courage, ce n’est pas ce qui manque mais là, je suis fatiguée moi… » soupire la dame aux cheveux teints. Pour redonner de l’élan à son public, notre animatrice hors pair emploie les grands moyens et tire sa casquette de coach sportif : « Vous savez, on se prépare pour les jeux olympiques de 2020, alors il faut un peu s’entraîner ! » La remarque fait son effet, les rires raisonnent !

Un tel entraînement donne un peu chaud, forcément. Hop, un petit tour dans l’eau et quelques brasses pour se rafraîchir. « Est-ce que vous êtes fatigués ? Non ? Mais vous êtes beaucoup trop forts ! Je ne vais pas réussir à vous épuiser… Alors je vais vous faire danser ! » Talon, pointe, talon, pointe, comme les petits rats de l’opéra. Pour danser il faut des jambes musclées : on lève les jambes et on tend.  « Et une, et deux, et trois… » « Et dix ! » Répète la dame aux lunettes, d’un ton affirmé. Ça y est, ce dernier exercice les a achevés pour de bon. 

« Mais qu’est-ce qu’il faut faire maintenant ? » déclare celle qui était si inquiète au début du cours. « La séance est finie ! » « C’est terminé ? Mais…mais moi quand on s’arrête, je ne sais plus quoi faire ! Qu’est ce qui faut que je fasse ? » « Vous avez tout fait très bien madame, c’était super ! » Son visage se détend et affiche un large sourire : « Ah ! Alors si c’était très bien, qu’est-ce que je suis contente ! »

Activité handicap et sourires





©Karel de Gendre
 


Dans la salle du premier, c’est l’effervescence, tout le monde se prépare pour la prochaine activité : certains vont au "sport", d’autres ont leur séance de kiné ou d’orthophonie… « Kateline ! Kateline ! Quand est-ce qu’on y va ? » lance Gérard, gigotant dans tous les sens sur son siège. Le jeune garçon commence à s’impatienter : il prend sa chaise et la frappe sur le sol pour faire le plus de bruit possible. Il est temps de commencer la séance. Sékou s’approche de nous en poussant les roues de son fauteuil. Il ne parle pas mais son sourire en dit long : il est prêt ! 

Le signal est donné : « Gérard, prend ton fauteuil, on descend ! » annonce l’éducatrice. « Non pardon, ton déambulateur ! » se reprend-t-elle. « Non, non, je vais prendre mon fauteuil » lance Gérard, provocateur. « Gérard…tu sais bien que parfois je perds la tête. » « Ah d’accord, tu perds la tête… » rigole-t-il, attrapant son déambulateur au passage. Celui-là a l’air d’être un sacré numéro. Aujourd’hui, on emmène avec nous Gérard, Khadidji, Sékou, et Zoheb. Cheyenne, une jeune fille polyhandicapée, nous rejoint en bas, dans la salle du rez-de-chaussée. 

Kateline gonfle le ballon pour faire ses passes. La séance n’a pas commencé que Gérard se met à crier. En face de lui, Sékou fait des bisous de loin à Khadidji, qui n’a pas du tout l’air gêné. C’est que notre petite princesse au doux sourire n’a pas qu’un seul prétendant dans l’établissement. Gérard ferait-il une crise de jalousie ? « Elle est à moi ! » lance-t-il. Cela en a tout l’air… « Sekou ! », celui-ci rattrape de justesse la balle qui a atterri sur ses genoux, la lève et, la tête tournée vers l’éducatrice assise à côté de lui, et il la renvoie en face, sans prévenir. Elle fait une belle trajectoire arrondie et rebondit au bout de la pièce. C’est sa manière bien à lui de jouer au ballon. Il agite les bras, jette la tête en arrière et pousse des petits cris de contentement : il est ravi, et très fier de lui. Notre joyeuse bande se prend au jeu : Khadidji sourit et lance la balle à son voisin Zoheb, qui la frappe sur le sol : quel beau rebond ! Allez Cheyenne, c’est ton tour. Kateline lui met la balle entre les mains. Elle parvient à la tenir entre ses deux mains recourbées, et la pousse de toutes ses forces en avant. La balle roule et percute le pied de la chaise de Zoheb. Belle passe !

On accélère la cadence. Et on ajoute une balle, pour compliquer l’affaire…et tester les réflexes. Les balles volent un peu partout, et les rires commencent à se faire entendre. Gérard, très en forme, attrape et la lance du tac au tac, de toutes ses forces. Le jeune garçon a bien besoin de se défouler. Mais la porte s’entrouvre : quelqu’un vient le chercher. La séance est déjà terminée pour lui, mais il ne manquera pas la prochaine !

Kateline prépare le prochain exercice : il faut lancer des cerceaux autour de plots placés sur le sol. Trop difficile pour Cheyenne qui ne peut les lancer. Kateline ne manque pas d’idées pour adapter ses exercices pour que tout le monde puisse participer, même les moins mobiles. Notre inventive CP place une table devant son fauteuil, juste à sa hauteur. La jeune fille saisit le cerceau, lève le bras, et parvient à le déposer autour du plot, presque sans aide. « Bravo ! Tu vois tu te débrouilles très bien Cheyenne ! » l’encourage Kateline. Les yeux pétillants, Cheyenne affiche un grand sourire un peu de travers et répond par un « ouais » franc et massif. Tandis que Sékou lance ses cerceaux à la volée, manquant à chaque coup d’éborgner l’éducatrice qui les ramasse, Kadidji et Zoheb se concentrent pour viser les plots les plus éloignés. Maintenant que nos jeunes amis sont experts en lancer de « frisbee », comme les appelle Zoheb, on peut passer au niveau supérieur : les plots sont remplacés par des grandes quilles destinés au chamboule-tout. Cela va demander plus d’effort ! Mais c’est encore plus amusant : Cheyenne pousse les quilles placées devant elle par terre, à côté de Sékou trop heureux de lui donner un coup de main. 

« On revient au calme maintenant » murmure Kateline en donnant à chacun une petite balle de massage.  « Faites la rouler sur votre poignet, votre bras, comme cela regardez. » Sur une douce musique, chacun se met à s’auto-masser. Mais c’est encore mieux quand on le fait pour nous ! Cheyenne, aux anges, profite du massage personnalisé de Kateline. Khadidji, elle, ferme les yeux, les traits détendus et le sourire aux lèvres… « Et toi Zoheb, tu aimes bien ? Ça chatouille un peu ? » Il rigole en hochant la tête. Quand à Sékou, il gigote de partout pour attraper la balle. Impossible de le masser ! Mais lui, pas du tout frustré, prend son air charmeur et envoie des bisous à Kateline. Aucun de ces enfants ne peut parler, quelques mots tout au plus. Mais pour s’exprimer, pas besoin de mots ! Il suffit de lire sur leurs visages, et de voir leur sourire…